Les élèves du club lecture des incorruptibles ont gagné le prix d’écriture.
Il fallait inventer une autre fin au livre auquel nous avions participé dans le cadre du feuilleton des « incos ».
Le Feuilleton des Incos est une animation créée par l’association Le Prix des Incorruptibles dont le but est de permettre aux enfants de découvrir les coulisses de la création d’un livre grâce à une correspondance et la lecture par épisodes d’un roman en cours d’écriture.
Le trajet se passa sans encombre ce qui ne me rassura pas davantage.
Le souvenir de mon évasion était encore ardent et j’avais l’impression de voir des soldats armés accourant du château de Ravanel derrière chaque bosquet. Martin essaya tant bien que mal de me rassurer sans succès.
Ne plus être dans le feu de l’action me donnait le temps de réfléchir, me faisant constater à quel point un seul mot pouvait définir une personne.
Sans même me connaitre, je n’étais déjà pour eux qu’une sorcière qui devait être mise au bûcher. Les pensées qui me tourmentaient quittèrent mon esprit au moment où j’aperçu la charmante maison de l’apothicaire. A la fois accessible et isolée elle était située le long d’un chemin derrière la forêt.
Après avoir frappé à la porte, l’apothicaire vint nous ouvrir. De multiples senteurs de plantes médicinales me rappelèrent mon ancienne maison à laquelle je n’avais pas pensé depuis longtemps. Son air accueillant et son regard bienveillant me rappelèrent les traits de ma mère.
Il afficha un air plein d’émotion
– « Oh, ma chère cousine cela fait si longtemps ! Que me vaut ta visite ? Est-ce Anne qui t’accompagne ? Comme elle a grandi ! Et qui est ce jeune garçon avec vous ? »
Le cousin de ma mère nous fit entrer dans sa demeure mélangeant harmonieusement habitation et atelier. J’appris qu’il s’appelait Johan et qu’il n’avait pas revu ma mère depuis 15 ans. Après lui avoir raconté toute notre aventure – ce que je fis à contrecœur – même si ma mère m’assura qu’on pouvait lui faire confiance. Son visage s’anima au rythme du récit et il parut impressionné par notre histoire. Vint le moment ou ma mère demanda doucement s’il acceptait de nous héberger. A mon grand étonnement, il fut ravi de notre proposition. Il nous expliqua qu’il se faisait vieux et qu’un peu d’aide serait la bienvenue, quitte à nous céder la boutique quand il n’aurait plus la force de s’en occuper. Ma mère ne cacha pas sous soulagement en étreignant son très cher cousin qui avait eu la bonté de nous aider. Elle le remercia cent fois pendant qu’il nous faisait visiter les lieux. Martin semblait heureux lui aussi, cet endroit presque magique l’avait séduit. Après avoir fait les présentations Johan lui assura que le barbier du village sera ravi de le prendre comme apprenti. Une fois installés, je sortis de la maison avec ma mère nous avions toutes les deux besoin de nous détendre un peu dans le bois derrière la maison. J’hésitai à poser la question qui habitait mon esprit depuis quelques jours. Nous nous sommes installés au creux d’une clairière entourée de buisson d’aubépine, le soleil nous éclairait doucement des ses rayons crépusculaires.
Une forme rousse sortit des buissons touffus avec un mouvement craintif. C’était un magnifique renard roux assez âgé, une cicatrice dorsale zébrait son pelage. Le renard et ma mère échangèrent un long regard puis le renard s’enfuit et ma mère éclata en sanglot. L’incompréhension se lisait sur mon visage, ma mère n’étant pas vraiment une grande sentimentale. J’attendis qu’elle se calme avide d’explications. Elle me raconta que ce renard avait été recueilli peu avant ma naissance. J’avais passé la première année de ma vie avec lui avant que mon père ne soit arrêté pour sorcellerie et emprisonné. Je compris que toute sa vie il avait vécu les mêmes injustices que nous. Son plus grand souhait était que sa fille apprenne à son tour la médecine des plantes. Ensuite ma mère ne l’avait plus jamais revu, ni lui ni son renard qu’il chérissait plus que tout. J’avais la tête emplie d’espoir et de doute.
Mon père était-il encore vivant ?
Ce renard pourrait-il nous mener jusqu’à lui ?
Pendant le repas, je demandais à Johan s’il avait déjà aperçu le renard dans les sous bois.
– « Oui je l’ai déjà vu ! N’est t’il pas magnifique ? »
Je compris qu’il ne connaissait pas la véritable histoire de ce renard. Comme il avait gagné ma confiance je lui racontais tout le passé de cet animal. Il fut à la fois étonné et heureux.
– « Mais Anne, je pensais que vous étiez au courant ! Ton père a été innocenté, il y a peu. »
Ma mère qui était entrée dans la pièce à ce moment précis en fut bouleversée et je n’étais pas vraiment dans un meilleur état qu’elle.
Je partis me coucher, l’esprit aussi agité que la veille. Le lendemain matin nous sommes retournées sur la piste du renard avec ma mère.
Quand nous l’avons aperçu il nous a encore regardé fixement de longues secondes avant de s’enfuir. Je me mis à le suivre précipitamment, comme l’espérance est violente ! Il nous mena au cœur de la foret jusqu’à un étrange campement suspendu entre un chêne et un grand peuplier. Un homme qui nous tournait le dos en descendit avec souplesse. Il se retourna et nous vit toutes les deux, ma besace débordant de camomille à l’épaule et ma mère qui portait ses bouquets d’orties pour Johan. Une unique larme coula de sa joue mouillant son visage plein d’émotion.
– « Ma douce, comme tu m’as manqué et Anne, comme tu ressembles à ta mère. ! » dit mon père en nous enlaçant dans ses bras.
Je ressentis pour la première fois un vide dans mon cœur. Comme si ce visage souriant que je venais d’apercevoir m’avait manqué toutes ces années. Nous sommes rentrés dans un silence de neige qui nous convenait parfaitement à tous les trois, personne n’osant le briser, de peur de détruire cette once de familiarité qui commençait à fleurir.
Les jours filaient comme des minutes. Mon père devenant un nouveau pilier de mon existence. Il était doux avec ma mère et moi et avait constamment un sourire et un regard plein d’amour. Le renard se révéla être une bête très intelligente et câline. Mon père apprécia toute de suite Martin qui devenait un apprenti très doué et cette vie de famille nombreuse pleine de complicité et d’amour me convenait parfaitement.
L’année la plus heureuse de ma vie s ‘écoula et un beau jour quelqu’un frappa à la porte, c’était Marguerite de Valois. Je pressentis que les fuites et les combats n’étaient pas encore finis…